Cinquième partie

Qu'est-ce qui s'est passé ? Qu'est-ce que tu faisais ? Tant de questions auxquelles Billie aurait voulu répondre le plus sincèrement possible. Mais les deux jeunes en face d'elle semblaient si sûrs que cet endroit était le lieu dont ils avaient toujours rêvé, quand ils étaient en train de dormir à même le sol, dans des tentes de fortune, dans le camp tout aussi bricolé et rafistolé. Mais ce camp restait le leur, quoi qu'il s'y soit passé, quoi qu'ils aient put faire, quoi qu'ils l'ait détruit. Ce camp restait le leur, avec tous ces dangers, ces incertitudes. Alors oui, clairement ici, tout semblait être paradisiaque. Pas de menace de la part des Terriens, pas même besoin de s'inquiéter pour trouver à boire ou de la nourriture. Tout était beaucoup plus simple, plus facile, évidemment. Alors, pour eux qui avaient vécu l'enfer, cela était tellement reposant et inattendu que, oui, ils se croyaient au paradis. Ils avaient quitté l'enfer pour se retrouver ici, et personne ne voudrait revenir à ce qu'ils avaient connu avant.
Mais Billie n'aurait de cesse de le répéter, tout était bien trop beau pour être vrai. On les nourrissait, on les habillait, on les accueillait, oui. Mais on les empêchait de sortir. Et elle était certaine qu'on leur cachait beaucoup de choses. Mais à quoi pouvaient-ils bien leur être si utile qu'on les gardait prisonnier ?

« - Qu'est-ce qu'il s'est passé ?
- Qu'est-ce que tu faisais pour que des gardes t'aient ramenée jusqu'ici Billie ? »

La brune secoua alors la tête pour se sortir de ses pensées, et elle reporta son attention sur ses deux amis ici présent. Elle inspira alors, et s'éloigna un peu des autres, qui étaient de retour sur leur lits, en train de discuter, de rire, sans soucis. Sans aucun soucis, sans peur.

« - Les gens d'ici ne peuvent pas sortir à cause des radiations. » leur apprit-elle en croisant les bras sur sa poitrine.

Ils la regardèrent un instant en plissant les yeux, et elle tourna la tête vers les deux gardes, avant de revenir sur eux. Elle devait leur dire, après tout.

« - J'ai essayé de trouver une sortie, mais je me suis fait arrêter. J'ai pu discuter avec Wallace, et il ne veut pas que j'aille avec son équipe de recherche pour essayer de trouver les autres. Ils ne veulent pas nous laisser partir, ni sortir. » reprit-elle en les regardant tour à tour.

Mais c'est vrai que dit comme ça, ça faisait légèrement paranoïaque ...

Adèle n'eut à attendre que quelques secondes avant que le grand brun ne finisse par s'approcher, posant délicatement ses mains sur sa peau abimée. La brune laissa échapper un petit rire, tournant comme elle le put la tête vers Jack pour lui offrir un petit sourire.

« - Et toi, qu'est-ce que tu ne ferai pas pour poser tes mains sur le mien ? » lui répondit-elle, le regard légèrement aguicheur.

Pendant quelques instants, la jeune femme crut qu'elle allait devoir serrer les dents pour éviter de lâcher des grognements plaintifs, mais elle remarqua alors que Jack se donnait du mal pour éviter de l'irriter plus que ce qu'elle ne l'était déjà. Affectée par la douceur dont il faisait preuve, la jeune femme laissa le silence s'installer, s'offrant quelques minutes de réflexion. A vrai dire, elle était en train de se demander si Jack, lui aussi silencieux, était en train de se ressasser en boucle sa culpabilité qu'il lui avait avoué de nombreuses minutes plus tôt, avant de s'en détourner. Ne comprenait-il pas que jamais elle ne le blâmerait pour ça ? Était-il pourtant encore obstiné à penser le contraire ? Elle ne voulait pas qu'il le fasse.
Et pourquoi, son sentiment fut confirmé lorsque le jeune homme brisa le silence par ces mots. Adèle se retourna instantanément, les traits plissés.

« - Bien sûr que si, Jack. Je te l'ai déjà dit, tu n'as pas à te sentir responsable de ce qui nous est arrivé. Nous avons tous les deux fait le choix de nous battre pour notre peuple, en étant pleinement conscients des conséquences qui pourraient en découler. Tu as bien fait de me dire de courir, sinon les autres n'auraient peut-être pas survécu sans nous. »

La jeune femme lui offrit un sourire rassurant et remonta ses mains sur le visage du jeune homme, caressant doucement la partie viable du visage de Jack. Elle avait les yeux légèrement plissés, devant forcer pour arriver à décerner ses traits à cause du manque de luminosité dans la caverne. Elle du se hisser légèrement pour arriver à attraper ses lèvres dans les siennes, les yeux toujours ouverts, refusant de le lâcher du regard.

A vrai dire, tous se sentaient bien ici. Exceptée Billie. Était-elle devenue paranoïaque après la mort de John, pour se soucier à ce point du sort de son peuple ? Elle était presque en train de les étouffer, avec ses théories du complot ! Si on les gardait ici, c'était tout simplement pour les protéger des Terriens, il n'y avait peut-être pas que du mal sur cette Terre, elle ne le comprenait donc pas ? Était-elle à ce point obsédée par l’instinct de survie, qui la poussait à lutter contre tout ceux qui lui faisaient face, même en lui offrant de l'aide ? La mort de John avait du beaucoup trop l’affecter, et étant donné qu'elle ne s'était accordé aucun repos, elle devait être sur les crans, son niveau de stress et de fatigue atteignant son maximum ? Peut-être qu'une bonne nuit de sommeil lui ferait du bien, non ?
Andrew lâcha un petit soupir et s'écarta, suivant Billie à l'abri des autres, afin que personne ne puisse les entendre. Était-elle donc inquiète à ce point ?
Shobbian et lui restèrent sidérés lorsque la brune leur dévoila que les habitant du Month Weather ne résistaient pas aux radiations. Voilà pourquoi ils s'étaient enfermés dans la montagne, pour avoir une meilleure chance de survie. Mais lorsqu'elle leur apprit aussi qu'ils n'avaient pas le droit de sortir, les deux jeunes gens hésitèrent entre deux réactions : celle d'être inquiet ou celle d'être rassuré ? Était-ce pour les garder prisonniers ou bien pour les protéger qu'ils faisaient cela ?

« - Tu es sûre de ce que avances ? Peut-être qu'ils ne nous laissent pas sortir pour nous protéger ... A moins qu'ils ne veulent nous garder prisonniers. Mais pour quelle raison ? » chuchota Andrew.

Mais Jack avait légèrement baissé la tête, comme honteux, devant son regard à elle, légèrement ... Agacé ? Certainement, même. Elle ne voulait pas qu'il se blâme, tout comme lui n'avait pas voulu qu'elle le fasse, avant leur dispute. Mais elle l'avait fait, et voilà où ça les avait mené. Alors seulement, elle posa sa main sur sa joue, pour la troisième fois, et le brun se demanda ce qu'elle voyait en face d'elle. Quelle était l'image qu'il lui renvoyait ? Une chose était sûre, depuis cet accident, l'égo et la confiance en soi du jeune homme en avaient pris un coup. A quel point ? Ca, c'était une autre question.
Mais pour le moment, elle se hissait sur la pointe des pieds pour l'embrasser, et, sans fermer les yeux, elle réussit à trouver ses lèvres dans la pénombre. Le brun posa alors ses mains sur les hanches de la jeune femme, mais doucement, de sorte que sa main droite à lui ne souffre pas, et que sa hanche à elle ne s'irrite pas de trop à cause de ce léger contact. Aah, les joies des brûlures, songea-t-il en remarquant qu'elle ne fermait pas les yeux. Pourquoi donc, d'ailleurs ? Avait-elle peur qu'il ne s'échappe, qu'il ne se dérobe ? Le fait est qu'il l'aurait certainement fait mais que là, il ne pouvait pas le faire. Car il ne voulait pas la blesser, surtout, et il ne voulait pas qu'elle se sente rejetée. Ce qu'il ne voulait pas du tout, d'ailleurs, la rejeter. Mais .. Il avait du mal à croire qu'elle puisse encore réussir à le regarder.
Alors, sans rien dire, il ferma ses propres yeux, se cachant sous ses paupières pour ne pas avoir à affronter le regard de la demoiselle, qui était plus que déterminée à le faire changer d'avis. Sauf que ça ne serait pas si simple que ça. Ils en avaient vécu, des choses, et retirer certaines pensées de son esprit allait être dur, et long. Oh que oui, très dur ...
Il finit cependant par rompre, encore une fois le baiser, et posa simplement son front contre celui d'Adèle, avant de respirer profondément, les yeux clos, et le coeur battant à l'unisson du sien.

La jeune femme pinça les lèvres. Elle pouvait presque voir les questins et les raisonnements des deux autres en face d'elle. Leurs hésitations, leur perplexité. Car elle même était passée par-là. Mais en se réveillant, et depuis, elle était convaincue que quelque chose n'allait pas, ici. Et elle était décidée à trouver de quoi il s'agissait.

« - Certaine. Il ne veulent pas qu'on sorte. »

De nouveau, elle regarda les deux gardes, mais ils discutaient tranquillement ensemble, et ne semblaient plus s'occuper d'eux. Tant mieux, songea Billie en revenant sur ses amis, qui pensaient sérieusement que sa santé mentale avait été affectée par la mort de John. Oh, mais c'était le cas. La mort de leur ancien chef avait laissé une brûlure au fer rouge dans son coeur, et elle ne guérirait certainement jamais complètement. Mais de là à la rendre maboul ? Non, quand même pas. Elle avait juste des convictions, qui, de l'extérieur, pouvaient ressembler à celles d'une paranoïaque. Ce qui pouvait très bine arriver.
Mais surtout, il ne fallait pas attirer les soupçons. Alors elle monta dans un lit qui était libre, imitant tous les autres, avant de reprendre à l'adresse des deux jeunes gens.

« - Il va falloir mener l'enquête discrètement, parce que je n'ai aucune idée de pourquoi ils nous gardent enfermés ici. »

Elle les regarda alors, assise en tailleur sur son lit, et soupira en sentant le matelas moelleux sous ses fesses. Ah ça par contre, ça lui avait manqué. Et, soyons honnête, jamais elle ne pourrait être au top de sa forme en étant épuisée mentalement et physiquement. Un petit peu de sommeil de lui ferait pas de mal ... D'ailleurs, elle se laissa tomber sur l'oreiller et ferma les yeux un instant, avant de tourner la tête vers Andrew et Shobbian, qui la regardaient toujours.

« - Mais pour le moment, mieux vaut se reposer un peu. »

Elle avait noté qu'une fois de plus, il avait baissé les yeux. Et cela lui avait fait un léger pincement un cœur, mais elle n'avait pas faillit, désirant se montrer convaincante pour que lui soit convaincu. Il le devait, il n'avait pas à ressentir tout cela tout seul, et surtout, elle ne voulait qu'il tente de cacher tous ses regrets et peurs derrière des apparences. Elle ne voulait qu'il plaisante s'il avait au contraire envie de pleurer, ou encore qu'il sourit et la regarde alors qu'il avait envie de fuir. Elle voulait juste qu'il soit même face à elle et surtout, elle voulait qu'il le comprenne. La personne qu'elle était voyait était toujours la même, et bien plus encore. Cette marque dont il avait hérité sur la joue était une preuve du soucis qu'il se faisait pour les autres, de toute ce qu'il avait enduré pour survivre. Elle se fichait bien qu'il soit peut-être moins belle gueule qu'avant, et ce n'était pas ça qui allait tout changer, même si elle en était désolée.
Lorsque leurs lèvres finirent enfin par se trouver, la jeune femme glissa sa main droite derrière le cou du jeune homme, caressant doucement sa nuque en faisant attention à ne pas le blesser, étant donné qu'il avait été brûlé ici aussi. Le contact de ses mains sur ses hanches la fit légèrement tressaillir, et elle était bien loin de se douter que, quelque part, Jack cherchait à s'échapper de l’étreinte, par peur de lui même. Peut-être était-ce quelque part pourquoi elle refusait simplement de fermer les yeux, désirant plus que tout qu'il comprenne qu'elle se refusait de l'abandonner à cause de son visage déchiré, ou de sa culpabilité infondée. Elle remarqua cependant que lui avait fermé les yeux, se dérobant une fois de plus à son regard. Et quelques secondes plus tard, il rompit leur baiser, posant juste son front que celui de la brune, les yeux toujours clos comme s'il refusait encore une fois de la regarder.
Mais Adèle ne laisserait rien tomber, et s'il leur faudrait du temps à tous les deux pour accepter, alors elle le prendrait. Car au fond, s'ils étaient tous les deux responsables, elle avait aussi certaines de ses erreurs à accepter. Ne désirant pas forcer le jeune homme à accepter le réconfort qu'elle essayait de lui offrir, la jeune femme se contenta simplement de rester ainsi, ses doigts caressant toujours l'orée des cheveux du jeune homme.

« - Ça ne sert à rien de souffrir inutilement. » lui murmura-t-elle.

Andrew et Shobbian regardèrent Billie avec inquiétude. Oui, ils s'inquiétaient pour elle. Peut-être avait-elle raison, peut-être avait-elle tort, cela était sûr, mais pourquoi s'acharnait-elle alors sur le paradis dans lequel ils étaient alors qu'ils venaient juste d'arriver ? La grande blonde lâcha un petit bâillement avant d'adresser un signe aux deux jeunes gens et de repartir vers ses amis, se dirigeant vers son propre lit.
Andrew lui, resta là encore quelques instants, les bras croisés sur le torse.

« - Je suis d'accord pour t'aider Billie, mais si jamais quelque chose tourne mal, on arrête tout. »

Il ne voulait pas risquer sa vie inutilement et finir troué par des balles, surtout si elle se faisait des fausses idées sur cet endroit qui pour l'instant, à part quelques incertitudes, ne semblait pas vouloir leur nuire. Il l'aiderait donc, et peut-être lui prouverait-il que cet endroit était tout sauf dangereux.

« - Bonne nuit, Billie. »

Il lui adressa un sourire avant de se diriger vers son propre lit, sautant dessus. Reniflant doucement, le brun se cala sur le dos, rangeant ses mains derrière sa tête. Il allait passer une très bonne nuit.

L'une de ses mains vint errer dans le cou du brun, alors que le contact de ses mains sur sa peau à elle la faisait tressaillir. Quel beau tableau ils offraient, tous les deux. Deux âmes en peine, enlacés l'un à l'autre dans un bassin d'eau chaude, au milieu de l'antre d'un Terrien, et couverts de feuilles et d'une pâte verte visqueuse. Oui, la scène avait tout de quelque chose de romantique et sensuel, surtout si on ajoutait à cela l'odeur quelque peu entêtante des cataplasmes qui avaient bien calmé les douleurs de leurs brûlures respectives.
Mais il fallait croire que les deux tourtereaux se fichaient bien de tout ça, car, malgré tout, il s'embrassèrent doucement, comme s'ils apprenaient se connaître, comme s'ils avaient peur d'aller trop vite. Ce qui, en soi, n'était pas si faux que ça. Pas aller trop vite. Oui, c'était important, et lui tout comme elle l'avaient bien appris à leurs dépens, avec cette stupide dispute qui avait bien failli leur coûter leur amitié. Mais, au moment où elle avait commencé petit à petit à baisser les bras, lui avait fait le travail de deux. Il n'avait jamais laissé tombé, n'avait même jamais imaginé le faire, ou alors si peu que cela était méprisable face à la quantité d'efforts qu'il avait fait pour la garder près de lui. Mais voilà qu'aujourd'hui, c'était à son tour à elle de tout faire pour le garder près d'elle. C'était à son tour à elle de déployer des efforts immenses pour qu'il reprenne confiance en lui, c'était à elle de tout faire pour qu'il ne s'enfonce pas trop loin dans la culpabilité, le remord, le regret et la douleur.
Les rôles étaient inversés, cette fois. Et, intimement, Jack ne put s'empêcher de se demander pourquoi, entre eux, rien n'était jamais simple.
Alors, le brun remonta ses mains pour venir prendre en coupe le visage de la demoiselle, et, les yeux toujours aussi clos, il inspira.

« - Mais si on souffre, c'est à cause de moi, Adèle. Ta jambe, c'est à cause de moi .. Mon visage, tes brûlures .. Tout, tout est à cause de moi. »

Et enfin, il ouvrit les yeux pour les planter dans ceux de la jeune femme. Enfin, il osait soutenir son regard. Ou bien ne faisait-il que chercher un peu de réconfort ? Nul n'aurait su le dire. PAs même lui.

Billie regarda son ami, et une ombre de sourire vint étirer ses lèvres, avant qu'elle ne s'allonge. Jamais elle ne le remercierait assez. Même s'il n'avait pas écouté ce qu'elle lui avait dit, et qu'il n'avait pas attiré John dans la navette comme elle l'avait voulu. Mais au final, s'il était mort, c'était de sa faute à elle, et uniquement de sa faute à elle.
Ainsi, avant qu'il ne parte, elle hocha la tête.

« - Merci Andrew. » souffla-t-elle.

Mais déjà, il sautait sur son lit, et elle se laissait tomber en arrière, avant de se recroqueviller sur elle-même, prenant soudain conscience que depuis qu'ils étaient arrivés sur Terre, elle n'avait dormi seule qu'une ou deux fois. Toutes les autres nuits, elle avait été avec John. Oh, au début, ça la gênait, et pas qu'un peu. Elle avait rechigné, et accepté uniquement pour des raison pratiques - à deux, on a plus chaud que tout seul. Mais au fil du temps qui avait passé, et des circonstances qui avaient voulu ça, aussi, ils s'étaient souvent retrouvés tous les deux, au moment de se coucher. Si bien que, petit à petit, dormir avec lui avait été ... Réconfortant, dans ce monde de malade. Normal, aussi. Et voilà que là, alors qu'ils étaient enfin en sécurité, ou c'est du moins ce qu'on ne faisait que de leur répéter, Billie, elle, se sentait plus que seule au monde. John aurait dû être là avec elle. Il aurait dû se trouver dans un lit, non loin, et faire taire tout le monde avec ses grognements, grincheux à cause du manque de sommeil. Il aurait dû se trouver parmi eux .
Mais à cause de Billie, il était simplement sous terre, en train de pourrir, certainement en train d'être mangé par toute une colonie de vers. Alors la brune se mettait en chien de fusil, et, les poings serrés, les yeux clos et les lèvres pincées, elle tentait d'invoquer le noir, et seulement le noir, dans son esprit.
Et cette nuit là, elle eut du mal à s'endormir.

Ils restèrent ainsi de nombreuses minutes, englobés l'obscurité et le silence. Mais s'il fallait du silence pour qu'il comprenne, alors elle le lui laissait. Tout comme lui l'avait aussi laissé s'installer.
Si de nombreux jours plus tôt, pour ne pas dire semaines, c'était lui qui l'avait remontée du vide dans lequel elle était tombée, c'était désormais à elle d'aller le chercher. Et elle était persuadée qu'elle y arriverait et surtout, elle ne le laisserait pas retourner au fond du précipice. Quoiqu'il advienne et quoi qu'il puisse penser, elle le ferait remonter à la surface, ne l'abandonnerait jamais. De tout ce qui lui était arrivé sur Terre, il avait été la pire et la meilleure chose qui lui soit arrivée. Parce qu'il était sûrement une faiblesse, mais surtout quelqu'un sur qui elle pouvait s'appuyer sans craindre de tomber. Ce qui serait sûrement désormais très souvent le cas.
La jeune femme garda ses mains nouées dans le cou du jeune homme, son corps pâle et svelte contre celui de Jack, qui paraissait comme cela être beaucoup plus large qu'elle. Finalement, les mains du jeune homme atteignirent son visage, et il ouvrit enfin les yeux, plantant son regard dans le sien. Depuis tout ce temps, elle n'avait pas défaillit, gardant contrairement à lui ses yeux clairement ouvert, en attente qu'il se décide à poser son regard sur le sien. Et il venait juste de le faire.

« - Jack, arrête je t'en prie. Arrête de t'en vouloir. Tu te tortures inutilement.
Regardes moi, est-ce que tu vois dans mon regard une seule once de quelque chose qui te prouve que je pense que c'est de ta faute ? Il n'y a rien d'autre ici que ce que tu peux voir. »

Et ce qu'il pouvait voir dans ses yeux, c'était seulement la compassion dont elle faisait preuve envers lui et surtout, l'absence totale d'un quelconque blâme.

Andrew lui, ne mit que quelques minutes à s'endormir. Il fallait dire qu'il avait toujours eu le sommeil léger, et que pratiquement jamais rien ne l'avait gêné pour s'endormir, si ce n'était les grognements de son ami Peter, qui se trouvait actuellement à trois lits de lui. il avait donc le loisir de s'endormir tranquillement.
Et bientôt, presque tous en firent de même, les discussions cessant au fur et à mesure, laissant place au silence. Quelques " Chuut " retentirent lorsque les uns se mirent à ronfler, dérangeant tout le rester de la communauté. Et bientôt, le silence se fit.
Pourtant, il ne restait qu'une personne qui ne dormait pas. Billie, trop préoccupée par ses mauvaises pensées, toutes dirigées vers John.
Et tandis qu'elle ne trouvait pas le sommeil, celui qui emplissait ses pensées lui, encore sous anesthésiants, dormait dans sa grande chambre blanche. Peut-être que si elle savait, elle aurait réussit à dormir cette nuit là. Mais elle ne le savait pas.

ack la regarda. Il la regardait, à vrai dire. Oui, il la regardait.

« Jack, arrête je t'en prie. Arrête de t'en vouloir. Tu te tortures inutilement.
Regardes moi, est-ce que tu vois dans mon regard une seule once de quelque chose qui te prouve que je pense que c'est de ta faute ? Il n'y a rien d'autre ici que ce que tu peux voir. »

Alors il regarda. Il regarda, encore et encore, et plongea dans la profondeur du regard brun de la jeune femme. Il chercha une quelconque lueur de changement, comme il l'avait déjà décelée, quand elle avait posé son regard sur son visage pour la première fois. Il l'avait vue, cette étincelle de ... dégoût ? Pitié ? Alors il chercha, encore et encore. Sans lâcher son visage, sans bouger, il ne fit que sombrer, s'enfoncer dans les abysses de ses prunelles, dans lesquelles, certainement, il ne s'était pas assez plongé, depuis le temps qu'ils étaient sur terre. Oui, il aurait peut-être dû fixer ses yeux comme il le faisait désormais.
Mais il ne voyait pas. Il ne voyait pas de reproches, dans son regard. Simplement de la compassion. La compassion, et peut-être quelque chose d'autre. Mais quoi ? C'était une bonne question, et Jack s'en posait déjà trop pour s'en poser encore. Alors, peut-être qu'un jour, il lui demanderait. Mais pour le moment, il se recula légèrement et souffla longuement, avant de secouer la tête.

« - Non. Je ne vois rien. »

Il recula alors, et lâcha la jeune femme, son dos venant heurter le bord de bassin. Bon, faudrait peut-être qu'il finisse par se rincer aussi, non ?

Billie s'était tournée et retournée. Encore et encore, et encore et encore. Elle n'avait cessé de se recroqueviller sur elle-même, de se mettre sous sa couette, pour ensuite la pousser d'un coup de jambes, pour finir par la remettre sur elle. Elle avait eu chaud, puis froid. Elle avait eu envie de dormir, puis d'aller courir pour se changer les idées. Mais surtout, elle s'était sentie mal, et n'avait eu de cesse de repousser ses pensées morbides au fin fond de son esprit, enfermées à double tour. Mais elles étaient toujours ressorties, et Billie avait mis des heures avant de trouver le sommeil.

Ainsi, le lendemain matin, après un sommeil agité et peu réparateur, Billie n'émergea pas tout de suite. C'est qu'elle était encore un peu fatiguée, la petite. Alors, tandis que tous les autres commençaient à se lever, elle, restait dans son lit. Et on la laissait dormir, parce que tout le monde avait compris que leur chef était fatigué et avait besoin de sommeil, oh que oui.
Mais si seulement elle avait pu savoir que John ne se trouvait pas si loin d'elle qu'elle ne le pensait. Si seulement elle avait pu savoir qu'il n'était pas mort, et qu'il était encore vivant. Si seulement elle avait pu savoir que son corps ne pourrissait pas, que ses yeux n'étaient pas mangés par des termites et que sa peau ne moisissait pas sur ses os. Si seulement elle savait. Mais elle ne savait pas.

Et cette fois, il ne la quitta pas du regard. Au contraire, il ne cessa de la regarder, plongeant son regard dans le sien. Avait-il trouvé ce qu'il y cherchait ? Avait-il enfin vu qu'elle ne lui en voudrait jamais et qu'elle serait toujours pour lui ? Comprenait-il donc enfin ?
Elle savait qu'il ne s'en remettrait pas aussi facilement, mais elle savait aussi qu'il ne devait pas abandonner. Alors peut-être que le réconfort qui était visible dans ses yeux le ferait déjà avancer d'un pas, et peut-être qu'il arriverait à commencer à essayer de se remettre en question et de comprendre qu'il n'y était pour rien.
Et il continuait de la regarder, encore et toujours. Ses yeux chocolats plantés dans les siens, n'osant peut-être pas s'en démêler avant de toute comprendre. Son regard plongé dans le sien, sûrement à la recherche des preuves qu'elle tentait désespérément de lui fournir. Elle espérait qu'il comprenne, plus que tout.

« - Non. Je ne vois rien. »

A vrai dire, face à sa réponse, Adèle hésita à comment réagir. Avait-il compris ou cherchait-il juste à s'échapper ? Ou au contraire venait-il de lui dire qu'il ne voyait rien du tout dans ses yeux. La jeune femme resta en suspens quelques secondes avant que Jack ne se recule, heurtant le bord du bassin. Un léger sourire vint naître sur les lèvres de la jeune femme, espérant qu'il avait réellement compris. Elle lâcha un petit soupir avant de frotter doucement son flanc gauche pour enlever le baume qui s'y trouvait encore.

Il la vit, qui se figea durant un instant. Sa réponse n'était pas claire ? Mais tel était le but, évidemment. Parce que, même s'il n'avait vu aucun blâme dans le regard de la brune, le doute persistait toujours au fond de son esprit, au fond de son coeur. Alors, comme il était encore trop tôt, il se contenta de donner cette réponse, cette modeste réponse, et il se recula, et elle le regarda faire, avant de sourire et de continuer à retirer les cataplasmes.
Mais il ne voulait pas troubler le silence, alors il ne dit rien, et l'imita, savourant une dernière fois la fraîcheur des plantes, et de cette matière visqueuse sur sa peau, qui faisait du bien sans être non plus trop froide. Il ne savait pas ce que c'était, mais c'était efficace, on ne pouvait pas dire le contraire.
Ainsi, c'est en soufflant qu'il frotta doucement sa peau meurtrie, découvrant petit à petit les brûlures qui marbraient sa peau et qu'il n'avait pas encore vues. Et beh. C'était pas joli à voir, quand même. Mais, sans rechigner, et en grimaçant tout de même de temps en temps, il se défit de cette seconde peau, et bientôt, tut son corps fut débarrassé de cette étrange couleur verte. Tout son corps, sauf son visage, qu'il n'osait pas toucher. Ainsi, en relevant la tête vers Adèle, qui se nettoyait toujours, le brun inspira, avant de s'approcher d'elle.
Puis, il ouvrit la bouche et s'apprêta à dire quelque chose, avant de se raviser, et de jouer nerveusement avec ses mains sous l'eau, de sorte à ce qu'elle ne voit pas, ou le moins possible, cette nervosité qui s'était emprise de lui. Mais il ne pouvait pas se débarrassé du cataplasme sur son visage, du moins pas sans glace. Il n'avait pas le choix. Alors il prit son courage à deux mains et recommença, cette fois avec succès.

« - Tu peux m'aider ? » souffla-t-il en désignant sa joue droite d'un geste de la main.

Dans le Month Weather, le silence régnait presque. A vrai dire, il était à son apogée dans le dortoir relégué aux jeunes arrivants. Ils dormaient tous, comme des bébés, tandis que le reste de la montagne s'activait en silence, telle une fourmilière.
Dans les couloirs, les rumeurs courraient déjà, mais chacun se taisait, et tout le monde baissait les yeux. Quelles étaient donc ses rumeurs et qui en était à l'origine ?
Et dans une petite chambre, il venait de se réveiller, une fois de plus.

Adèle avait continué d'enlever les feuilles qui recouvraient son corps, s'y prenant avec délicatesse, ayant peur d'arracher des lambeaux de peu en même temps. Mais elle réussit finalement à tout enlever, posant les restes de feuilles sur la roche glaciale. Ensuite, la jeune femme frotta doucement le reste de son corps, dissipant le baume dans l'eau chaude qui coulait sur sa peau. Elle le regarda s'évader pour finalement totalement disparaître et tourna quelques instants la tête vers Jack, qui lui aussi tentait de se nettoyer entièrement. Elle laissa un petit sourire venir naître sur ses lèvres et baissa les têtes quelques instants, tentant désespérément d’apercevoir sa jambe sous l'eau.
Mais elle ne voyait rien, ou du moins, que son simple reflet. De toute façon, de ce côté là, elle ne pouvait rien faire. Enlever l’attelle serait plus que stupide, puisque sans elle, sa jambe désarticulée serait aussi désaxée qu'un pantin et utile qu'une feuille dans le vent. La pensée de jamais pouvoir marcher normalement la laissa perplexe, lorsqu'elle remarqua à nouveau la présence de Jack vers elle. Il ouvrit la bouche pour la refermer aussitôt, grattouillant elle ne savait quoi dans l'eau. Nerveux ? Il finit finalement par lui demander de l'aide, désignant sa joue encore couverte du baume et d'une feuille presque collée à sa peau, ce qui rendait réellement visible sa blessure. La jeune femme hocha la tête, lui offrant un gentil sourire.

« - Bien sûr »

La jeune femme le contourna légèrement pour pouvoir se mettre face à sa joue droite, et c'est les mains légèrement tremblantes qu'elle commença à enlever le cataplasme qui se trouvait sur celle-ci. Elle avait peur de lui faire mal, et s'acharna donc à l'enlever avec toute la délicatesse qu'elle possédait, le regard fixé sur ce qu'elle faisait. Elle finit par enlever toute la feuille et récupéra de l'eau en coupe dans ses mains pour laver doucement le visage du grand brun, ne frottant pas pour irriter la peau.

« - Et voilà ... » murmura-t-elle presque avant d'avoir terminé.

Ses doigts de fée couraient sur sa peau, si légers qu'il les sentait à peine. Et pourtant, il fallait faire attention, car la peau du jeune homme ressemblait plus à des lambeaux de choses visqueuse, rougeâtre et sanguinolente, qu'à une joue. Ainsi, c'est presque sans le faire grimacer qu'Adèle retira la feuille, et qu'elle finit par rincer le baume qui s'en alla bientôt dans l'eau. Bien sûr, ça picotait un peu, et le contraire aurait été alarmant. Mais le contact de la jeune femme était étrangement apaisant, et c'est en fermant les yeux et en s'adossant contre le rebord du bassin que Jack la laissa tranquillement terminer, quoi que légèrement tendu tout de même qu'elle pose ses mains sur sa balafre.
Il rouvrit alors les yeux et la regarda laisser couler l'eau entre ses doigts, et s'éloigna d'un pas.

« - Merci. »

Mais là, étrangement, il se sentait ... Comme à nu. Là, vraiment, sa blessure était visible. Il n'y avait plus rien pour la cacher, pour la dissimuler. Là, on voyait les ravages du feu. Là, on voyait à quel point ses traits avaient été déformés par les flammes. Et c'était horrible d'y penser.

Adèle y passa quelques minutes, mais elle réussit finalement à tout enlever sans le faire hurler. Ses yeux se posèrent alors sur Jack, et la jeune femme lui offrit un petit sourire, désirant plus que tout lui prouver ce qu'elle lui avait dit.
Maintenant libérée du cataplasme, sa joue était entièrement visible, et il fallait bel et bien avouer que ce n'était pas beau à voir : une grande balafre recouvrait la droite de son visage rougi, témoignant non seulement du passage de la chaleur des flammes, mais aussi et simplement du feu, qui avait du venir plus que lécher sa joue pour le marquer ainsi.
Mais elle savait que cela lui posait clairement un problème et a vrai dire, elle hésitait, ne sachant que faire pour le réconforter. Le regarder, pour lui prouver que cela ne lui faisait rien, même si sa blessure l'avait défiguré ? Ou bien le laisser tranquille et s'habituer à son visage, seul ? La petite brune soupira légèrement en le voyant s'éloigner, concluant qu'il voulait sûrement être un peu seul.

« - De rien, Jack. »

Sur ce, la jeune femme se rapprocha du bord et, avec difficulté, réussit à se hisser sur celui-ci. Elle réussit cependant à, toujours en galérant, grimper entièrement sur celui-ci et finalement s'asseoir, tournée vers Jack qui lui, était toujours dans l'eau. Adèle en profita pour tenter d'essorer ses cheveux trempés, se demandant combien de temps ils allaient rester ici et surtout, si tous les autres s'en étaient sortis.

Dehors, le soleil s'était levé. Les oiseaux commençaient à chanter, la nature s'éveillait. Tout indiquait que la journée serait magnifique, des rayons solaires qui venaient taper les feuilles certes des arbres aux animaux aux formes et aux couleurs étranges qui sortaient doucement de leurs tanières. Oui, la journée promettait d'être belle et inoubliable.
Mais, là, dans la montagne qui dominait la forêt, nombreux s'étaient ceux qui ne verrait pas ce magnifique jour. D'ailleurs, nombreux étaient ceux qui n'avait jamais vu un lever de soleil ou bien un rayon de l'astre vivifiant se refléter dans l'eau limpide d'un lac. Oui, beaucoup étaient ceux qui ceux qui n'avait jamais assisté à ce spectacle, et qui n'y assisteraient certainement jamais. Et, parmi eux, en train de se réveiller, de bailler, de se tourner une dernière fois dans leurs lits, certains avaient eu la chance de voir un jour la pluie tomber du ciel. Ils avaient eu le privilège de pouvoir sentir toutes ces fragrances riches et prenantes de la forêt, des fleurs, avaient ressenti la fraicheur apaisante d'une brise sur leur nuque. Les 100. Oh, ils étaient bien loin, désormais, les cent jeunes criminels qui avaient été envoyés sur Terre pour cette mission suicide. Ils avaient eut le temps de mûrir, de souffrir, mais aussi et surtout, de vivre.
Alors, tandis que la plupart sautaient sur leurs pieds pour se diriger vers la cafétéria du Mont Weather, une petite brune au sommeil agité se retournait dans son lit. Sous ses paupières, ses yeux s'agitaient furieusement, signe de l'agitation interne qu'elle subissait. Ses draps étaient mouillés de sueur et son visage légèrement crispé.
Bientot, le dernier jeune sortit du dortoir, et Billie se retrouva seule, mais soudain, elle émergea brusquement, se redressant d'un bond en ne pouvant retenir un cri. Mauvais rêve, sûrement. Mais heureusement, personne n'était là pour voir l'état dans lequel la jeune femme se trouvait après cette nuit de cauchemar, à ressasser de sombres pensées dans son esprit tourmenté. Elle passa une main sur son visage, tentant de faire disparaître les rides d'anxiété qui barraient son front, et, après une inspiration profonde sont le but était certainement de lui donner du courage, Billie sauta à bas de son lit, avant, d'a son tour, se diriger vers le réfectoire. Car même si elle se refusait à accepter tous les cadeaux des gens d'ici, elle ne pouvait pas rester sans s'alimenter. Alors, le regard encore quelque peu vitreux, elle se dirigea vers la grande salle commune, passant sans le vouloir non loin d'une aile réservée aux grands malades. Et dans l'une de ces chambres, un blessé particulier venait d'ouvrir les yeux. Mais elle ne savait pas.

Sur sa joue, le jeune homme sentait comme une once de fraicheur. Délivré de son masque protecteur, il se sentait comme nu, et, comme après avoir porté un vêtement chaud pendant longtemps pour le retirer ensuite, il se sentait étrangement vulnérable, et il frissonna un instant, comme s'il avait froid, alors qu'il se trouvait pourtant encore au milieu de bassin, entouré d'une eau chaude a perfection. Il aurait bien aimé enfin voir a quoi il ressemblait, il aurait aimé apercevoir comment les flammes avaient modelé son visage. Mais pour le moment, ça semblait impossible, et Jack, qui se sentait plus que vulnérable, se tourna vers Adèle, qui passait près de lui pour essayer de se hisser sur le bord du bassin. D'ailleurs, quand il la vit peiner à monter à la seule force de ses bras, le brun fit un pas en avant pour l'aider, mais déjà, elle était assise sur la pierre froide, sans avoir besoin d'une quelconque aide. Peut-être qu'elle réussirait à se remettre de la perte qu'elle venait de subir, se dit-il. Peut-être que, contrairement à lui, elle ne s'apitoierait pas sur son sort pour une durée indéterminée.
Mais surtout, Jack se sentait pathétique, de ne pas être plus fort. Pathétique de se sentir si diminué alors qu'il n'avait qu'un visage défiguré, alors qu'elle, qui pouvait a peine marcher, n'avait rien dit, pas une seule seconde, pas un seul mot. Oui, il se sentait pathétique et se faisait pitié, il se trouvait idiot et ridicule. Mais il ne pouvait pas vraiment faire autrement. Alors peut-être que le temps ferait son effet. En tout cas, pour le moment, il ne pouvait qu'attendre et voir comment son état psychologique face à tout ce qui venait de se passer évoluerait. Pour le moment, il ne devait s'inquiéter que de l'instant présent. Pas de son visage, de la jambe d'Adèle. Juste de l'instant présent, qui consistait notamment à sortir de ce bain naturel, dans lequel ils n'allaient quand même pas trainer toute la journée.
Ainsi, en se rapprochant du bord à son tour, Jack se hissa sur la pierre et laissa ses pieds trainer dans l'eau, avant de se tourner vers elle.

- A ton avis, on va rester là encore longtemps ou il faut que je gueule encore une fois ?

Une ébauche de sourire se dessina au coin de ses lèvres, sourire un brin tordu qui désormais, serait la norme, chez lui.

La lumière. Encore une fois. Beaucoup trop violente, pour ses yeux habitués au noir complet.
La douleur aussi. Peut-être un peu moins fulgurante que la dernière fois. Peut-être à cause des anesthésiants qui lui étaient injectés à doses régulières, pour qu'il ne se réveille pas. Et pourtant, il l'était. Et cette fois, il n'était pas seul dans la chambre. Une infirmière, un docteur, ou il ne savait trop quoi se tenait face à son lit, de nombreux papiers dans les bras. Elle ne le regardait pas. Pas encore. Et c'est quand il grogna, remarquant pas la même occasion que cette fois il n'avait pas de masque d'aide respiratoire, qu'elle releva la tête vers lui, un grand sourire se peignant sur ses lèvres.
Qu'est-ce qu'elle attendait pour l'aider ? S'il avait pu hurler, il l'aurait probablement fait, car à vrai dire il ne supportait pas cette étrange position, allongé sur le ventre et la tête pendant presque dans le vide. Avait-il donc été totalement brûlé dans le dos ? C'est bien la seule chose dont il se souvenait. Ces flammes. Ces brûlures. Le feu. Les cris. Les 100. Billie.

« - Tu es enfin réveillé ! J'espère que tu te sens mieux, après les doses de calmants qu'on t'a injecté, je suppose que ça doit aller. Tu as vraiment eu de la chance qu'on te trouve, si jamais tu étais resté dehors comme ça, le docteur pense que tu n'aurai pas survécu et ... »

A vrai dire, il ne l'écoutait plus. Non pas qu'il s'en fiche totalement, mais il faut dire qu'il n'était pas réellement emprunt à être attentif. Pour ne pas dire pas du tout. Son esprit vagabondait sans qu'il ne puisse réellement s'en rendre compte, complètement out. C'était ça, il était complètement out. Ils ne lui en avaient pas un peu trop donné, des calmants ?
Et ou était-il au juste ? Cet endroit lui semblait, à première vue, réellement bien équipé, au niveau médical. Même plus bien. Etait-il dans un hôpital ? Qui donc l'avait récupéré ? Avaient-ils sauvé les autres ? Les 100 s'en étaient-ils sortis ?

« - Et il me faudrait ton nom aussi, s'il te plait. »

Il ne réalisa pas du tout de suite qu'elle lui parlait. Son nom ? Pourquoi donc voulait-elle savoir son nom ? Quel rapport cela avait-il avec sa santé ? Était-il donc bien dans une clinique ? Ou était le médecin en chef ? Quelqu'un allait-il finir par le rasseoir correctement. Il tenta de bouger légèrement, et ce mouvement lui arracha un autre grognement, qui fit immédiatement paniquer celle qui était en face de lui, et se précipita vers lui, redressant le fauteuil pour que sa tête ne pende plus dans le vide. Mais ce qu'il voulait, c'était se lever. Se lever.

« - Merci.
- Je t'en prie, c'est normal, ne t'inquiète pas. Le docteur devrait bientôt arriver, elle a toujours beaucoup a faire. Ton nom ?
- John, je m'appelle John. »

Cela était vrai, elle ne s'en plaignait pas, de cette chose qui pendait tristement au bout de son corps, désarticulée, et seulement retenue par une attelle précaire qu'un étrange homme avait fabriqué. Un Terrien. Qui l'aurait cru, qu'un jour, l'un d'entre eux les soignerait ? Mais dans quel but ? A quelles fins ?
Seulement, ce n'était pas parce qu'elle ne s'en plaignait pas qu'elle ne s'en préoccupait. A vrai dire, elle faisait ça pour tenter de l'oublier. Mais il était difficile d'oublier que vous ne pourrez peut-être plus jamais marcher comme les autres, et même plus jamais marcher du tout. Et cela lui faisait peur. Plus que peur même. Mais elle ne disait rien, restait silencieuse à se juger. Car elle savait que si elle en parlait à Jack, il croirait encore que cela était de sa faute, alors que c'était totalement faux. Et puis, surtout, il avait besoin de la voir sereine, pour finir par accepter la balafre présente sur son visage. Et elle aussi, avait besoin de se sentir sereine, et de se persuader que ça s'arrangerait. Cela s'arrangerait.
Le bruit de Jack se déplaçant vers elle la sortie brusquement de ses pensées, et elle releva la tête pour le voir venir s'asseoir à ses côtés, les pieds toujours au contact de l'eau. La brune avisa sa canne quelques centimètres plus loin et son regard revint immédiatement vers le jeune homme, qui venait de lui parler, lâchant un petit sourire.

« - Je pense surtout qu'il va craquer et finir par nous étriper. On devrait peut-être essayer de retrouver le chemin jusqu'à l'endroit où on était toute à l'heure. »

Elle lui offrit un petit sourire avant de jeter un œil vers l'ouverture de l'endroit dans lequel ils se trouvaient, qui menait au couloir. Elle doutait sérieusement qu'ils retrouvent leur chemin seuls, en réalité. Le Terrien était-il là, à attendre qu'ils les appellent ? Les avait-il espionnés ? La brunette fronça légèrement les sourcils, se demandant une fois de plus ce qu'il attendait d'eux.

Elle avait les bras croisés sur sa maigre poitrine, le regard dans le vague. A vrai dire, c'était plus l'automatisme qui la menait vers le réfectoire que son sens de l'orientation, car, après cette nuit affreuse, son cerveau tournait comme au ralentit, et, de loin, on aurait pu la prendre pour une somnambule. Avec son pas lent, calme, son regard fixe et sa respiration posée, oui, de loin, on aurait pu penser qu'elle dormait, et qu'elle se promenait dans son rêve. Et a vrai dire, la brune dormait un peu debout. Son esprit c'était certainement mis en mode off après cette nuit éprouvante, et c'est avec une douce satisfaction que Billie appréciait de ne rien sentir tourner dans sa tete, ne serait-ce que le temps de quelques minutes, voire quelques secondes. Mais évidemment, ce court instant de répit ne dura pas longtemps, car, quelques mètres plus loin, au détour d'un couloir, Jacob se tenait accoudé contre le mur. C'est qu'il avait une mission, lui, et qu'il était bien déterminé à la mener à bien. Mais force était de constater que séduire la chef des cent allait se révéler certainement plus compliqué qu'il ne l'avait prévu au premier abord. Mais il ne désespérait pas, et, quand elle tourna au coin, il se décala du mur pour venir se placer à ses côtés.

- Salut Billie, bien dormi ?

Surprise, Billie tourna la tête vers lui, et elle plissa légèrement les yeux, avant de continuer son chemin, tandis que ses pensées se remettaient doucement en route, à son grand malheur. Le vide etait son meilleur ami, en ce moment, mais il la fuyait bien trop souvent ...

- Ah ce n'est plus Pocahontas, maintenznt ? demanda-y-elle, légèrement agressive.

Mais deja, elle était arrivée et se servait des céréales, tandis que le garde l'imitait.

« - John, je m'appelle John »

Elle nota consciencieusement sur nom sur l'un des papiers qu'elle tenait dans ses mains, toujours aussi souriante et rapide. Son stylo courut quelques instants sur le papier avant qu'elle ne relève la tête vers lui, juste quelques instants, avant de se replonger dans ses écrits. La scène dura quelques instants, et la voyant écrire, John se demanda pourquoi elle écrivait beaucoup plus que son nom. Devait-elle faire un rapport sur son état global ? Quand est-ce que le docteur allait arriver ? Ou était-il ? Et pourquoi ne répondait-elle pas à ses questions ? Peut-être parce qu'il n'avait encore rien demandé, tout simplement.

« - Excusez-moi mais ... Où suis-je ? »

Elle s'arrêta immédiatement d'écrire, comme perturbée par la question qu'il venait de poser. Pourquoi faisait-elle cette tête et surtout, pourquoi ne répondait-elle pas ? Le brun commença à s'agiter, tirant sur la couverture qui le recouvrait, faisait bouger sa perfusion par la même occasion. L'avaient-ils drogué et le gardaient-ils ici en secret ? Avaient-ils capturé aussi tous ses amis ?
Perfusion. Perfusion. Son esprit se mit rapidement à tourner, tandis que ses pensées tentaient de refaire surface. Il avait une seule perfusion et pourtant, de nombreux bleus se trouvait sur son coude gauche, témoignant qu'on lui avait soit injecté quelque chose, soit prélevé quelque chose. Était-on en train de faire des expériences sur lui ? Ou était-il bordel ? S'il l'avait pu, il se serait débattu, mais il était beaucoup trop faible pour faire quoi que soit, allongé sur son lit de cette grande chambre blanche. S'inquiétait-il pour rien ? Mais alors pourquoi ne répondait-elle pas ? Pourquoi ?

« - Hé, je vous ai posé une question. Est-ce que vous pourriez me dire où je suis ? Hé ! Répondez-moi, répondez m ... »

Il s'était presque mis à hurler lorsque la porte s'ouvrit brutalement sur une grande femme au teint hâlé, vêtue d'une blouse blanche. Celle-ci le regarda quelques instants avant de se tourner vers celle qui occupait sa chambre depuis qu'il était réveillé, lisant rapidement les feuilles noircies et lui soufflant quelques mots à l'oreille. Et d'ici, il pouvait voir qu'elle les disait sur un ton de reproches. Qui était cette femme ? Allait-on enfin lui expliquer où il était ?
La grande brune s'avança vers lui, et, à l'aide de son assistante, elle attrapèrent doucement le grand brun, défaisant ses couvertures, et l'aidèrent à se mettre assis. Puis la femme jeta un regard à l'autre, qui fila rapidement hors de la pièce, fermant la porte derrière elle, et elle vint s'asseoir à côté de lui, lui tendant la main.

« - Bonjour John, je suis le Docteur Tsing. C'est moi qui me suis occupée de toi jusqu'à maintenant, et je vais continuer de le faire. Je sais que tu dois te poser de nombreuses questions, mais je suis là pour y répondre. Ne t'inquiète surtout pas, tu es en sécurité ici. »